C’est sa peinture, mais c’est notre vie. Cette navette incessante entre deux niveaux de réalité nous happe. Soit la toile intitulée Lac de Paladru. Le ciel que l’artiste a peint au-dessus du lac est à la fois un ciel incontestable et un flagrant badigeon : ce badigeon hâtif, cette imperfection, cet aspet non fini, en font pourtant un ciel vrai, un ciel plus vrai que le vrai. Partant de situations puisées dans le quotidien (on imagine qu’elle travaille à partir de photographies mettant en scène ses proches dans leurs occupations), Dana BURNS transforme l’expérience de la peinture. Elle use de faux aplats, où la touche reste délibérément apparente : le coup de pinceau ne tente jamais de faire illusion. Il en est de même des couleurs, des dégoulinures, des effets de matière. Ce que Dana BURNS raconte relève de l’universel (tout le monde peut s’y projeter), mais elle fait basculer cette universalité-là dans le creuset éminemment personnel de l’épreuve picturale.
Aujourd’hui installée à Grenoble, cette jeune Américaine (née à Long Island en 1987) s’inscrit naturellement dans la lignée de la peinture anglo-saxonne. Son œuvre affiche la franchise insouciante du Pop Art; et l’on songe parfois aux prosaïsmes désinvoltes d’Andy WARHOL, aux couleurs d’Alex KATZ, à la liberté de ton de Georgia O’KEEFE. Mais la parenté la plus flagrante paraît être celle de David HOCKNEY, la série de ses Piscines notamment. Dana BURNS en a repris le coloris acidulé, la vision par flashes, les éblouissements successifs et même le triomphe solaire des corps tout simplement nus.
Avec l’audace de ses jeunes années, Dana BURNS développe un chromatisme tonique, une vigueur de la facture et une vivacité du regard. Ses toiles ne sont pas nécessairement de grandes dimensions: elle font cependant montre d’une ampleur indéniable. Des flaques roses dialoguent énergiquement avec ses tâches de vert franc; la lumière éclatante ronge le quotidien, l’inondant au point de le transfigurer; et le clinquant de la palette débouche paradoxalement sur un ressenti tout en intériorité. Dana BURNS s’engouffre dans la faille: elle nous donne à distinguer ce qu’il y a d’étonnant dans la banalité. Ce que l’ordinaire offre d’extraordinaire.
Jean-Louis ROUX
April 2016